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ce dont on se sert pour ecrire soit papier, soit encre, ahiatonk8a´t[1].

Le 1er octobre 1743, le jésuite Pierre Potier arrive à Québec après cent cinq jours en mer [2]. En plus de ses effets personnels, de ses notes et de quelques livres, il apporte dans la colonie française un bagage intellectuel considérable. Comme tous les jésuites, il a appris à lire et à écrire le latin et le grec, étude pour laquelle il s’est montré doué. Ayant lu les auteurs classiques, il s’intéresse à la science, à la théologie et à la philosophie. Son expérience comprend aussi la composition et l’enseignement dans un collège. Il est évident que Potier aime écrire : même s’il n’a jamais rien publié, il recopie pour lui-même des passages de différents auteurs et prend des notes sur ce qu’il voit et entend. Le jésuite qui débarque à Québec peut donc se dire homme de lettres, mais un homme de lettres européennes. Grâce au savoir de ses confrères déjà établis en Amérique du Nord et surtout à la collaboration des Wendat et Wyandot, il travaillera pendant quinze ans à la rédaction d’un dictionnaire français-wendat, à la mise en forme des dernières radices (dictionnaires wendat/wyandot- français) et grammaires en wendat/wyandot ainsi qu’à diverses notes sur la langue wendat[3]. À l’arrivée de Potier, cette langue n’est mise par écrit que depuis une centaine d’années, et les tentatives de la « réduire » afin de la rendre compréhensible dans un cadre français témoignent de l’existence d’une frontière certes linguistique mais aussi culturelle et coloniale. Les recherches sur cette frontière linguistique en Amérique du Nord sont nombreuses. Les dernières années ont vu éclore plusieurs études sur les modes de communication utilisés par les Autochtones dans un riche « environnement médiatique » (mediascape), concept recouvrant les médias d’information ainsi que les images, idées et concepts qui sont exprimés, par exemple les outils mnémotechniques, traditions orales et autres méthodes de communication verbales et non verbales (signes, wampum, ornements, etc.)[4]. Plusieurs personnes, comme les truchements, avaient dû s’y initier, mais ce sont les religieux, et surtout les jésuites, qui ont le plus écrit sur cet apprentissage, aux sources de multiples recherches. Par exemple, en se basant principalement sur leurs Relations, Margaret J. Leahey, Micah True, Carolyn Podruchny et Kathryn Magee Labelle ont présenté les jésuites sur le terrain des missions à la fois comme des maîtres pour la religion et des élèves concernant la langue, mais aussi comme des intermédiaires entre l’Europe et l’Amérique. Les jésuites ont également produit de multiples documents manuscrits comme des cartes, des chants et des outils linguistiques[5]. Mis en lumière par Victor E. Hanzeli, ces documents, dont des grammaires et des dictionnaires en langue autochtone, ont permis à plusieurs historiens d’avoir, par exemple, accès à certains termes et descriptions qu’on ne retrouve pas ailleurs, comme le concept de nindoodemag (lien de parenté chez les peuples anishinaabe), détaillé par Heidi Bohaker, ou la relation entre l’esclavage autochtone et la domestication qu’a retracée Brett Rushforth[6].

En plus d’éclairer certains aspects des cultures autochtones, ces sources linguistiques permettent de mieux comprendre les limites du vocabulaire transmis en Amérique du Nord-Est et les relations entre missionnaires et Autochtones, comme l’ont démontré notamment les recherches de John Steckley, John Bishop et Kevin Brousseau[7]. Ces derniers soulignent le rôle central des locuteurs natifs et de l’environnement d’apprentissage dans l’acquisition d’une langue autochtone par les Européens, mais aussi l’individualité des auteurs, qui n’écrivent pas les mêmes entrées de la même manière. Alors que Steckley se spécialise dans l’ethnolinguistique, Bishop et Brousseau étudient plutôt les méthodes d’acquisition du vocabulaire de dictionnaire en Nêhirawêwin par certains jésuites, ainsi que le contexte social dans lequel ces dictionnaires ont été créés. Nous avons donc, d’une part, plusieurs études historiques se basant généralement sur les textes publiés à propos des aspects de la frontière linguistique en Amérique du Nord-Est, qui varient selon les individus (ex. Autochtones ayant appris à lire et écrire, missionnaires s’initiant à une langue, administrateurs recourant à des truchements) et les lieux (p. ex. village, poste de traite). D’autre part, les historiens utilisent les outils linguistiques jésuites surtout pour en extraire le riche vocabulaire. Enfin, certains chercheurs se penchent sur le processus de rédaction et sur les collaborations à partir desquelles se construisent ces documents. Cet article s’inscrit dans cette dernière lignée et examine le rôle de l’écriture comme outil d’apprentissage des langues autochtones par les jésuites en mission.

Ici entre en jeu tout un autre segment de l’historiographie : le rôle de l’écrit dans la colonisation, non pas seulement « “en plus” de la domination factuelle », comme l’écrit Joseph Morsel, « mais au sein du processus de domination[8] ». Le travail linguistique des missionnaires — bien que réalisé en collaboration avec les Autochtones — contribue (à l’instar des cartes, des dessins ou encore des récits à propos du territoire et de la culture des peuples autochtones) à l’appropriation de ce monde par les Européens. Ils consignent et utilisent ces savoirs pour leurs propres fins. C’est ce que détaillent par exemple Serge Gruzinski dans ses recherches sur l’écrit et l’écriture de l’histoire au Mexique, et Sarah Rivett qui a exploré l’effet des rencontres linguistiques coloniales en Amérique du Nord sur la philosophie linguistique du siècle des Lumières et sur les débuts de l’histoire littéraire américaine[9]. Ces auteurs soulignent toutefois, comme Zanna van Loon (qui étudie la circulation du savoir linguistique des missionnaires), que le travail des jésuites a également préservé par écrit plusieurs langues[10].

En reliant ces domaines de recherche, je propose donc d’étudier ici l’apprentissage du wendat/wyandot par le père Pierre Potier, apprentissage qui s’est fait tant par l’écrit qu’à l’oral, à la frontière entre le monde autochtone et français. Le cas de Pierre Potier et de sa contribution[11] permettra d’explorer la place de l’écrit dans l’apprentissage théorique de la langue wendat et ses limites dans la maîtrise plus poussée de cette langue. J’examine comment les formes de discours (dictionnaires et grammaires) et leurs usages ont été transposés de France en Amérique du Nord-Est, avec des adaptations. On connaît assez bien le parcours de Potier, entre autres grâce à la remarquable édition de ses écrits par Pierre Toupin[12], de même qu’une partie importante de son apprentissage du wendat/wyandot — il est d’ailleurs le seul jésuite à inscrire son nom dans un ouvrage linguistique en cette langue. Cela en fait un bon choix pour une étude de cas. Nous nous basons sur les outils linguistiques que Potier a rédigés ou auxquels il a contribué, notamment le MS60 (cote d’un dictionnaire français-wendat au Musée de la civilisation à Québec) et une série de radices linguae huronicae, mais également sur des sermons écrits dans cette langue. Ces ouvrages manuscrits font partie d’un corpus plus large de documents linguistiques en wendat mis en forme en fonction des besoins de la mission et recopiés par différents jésuites (notamment Jean de Brébeuf, Pierre-Joseph Chaumonot et Pierre Richer), sans jamais qu’ils les signent toutefois, depuis le début de la mission chez les Wendat (1634, après une première tentative en 1626). Un corpus similaire existe pour toutes les langues autochtones que les jésuites ont apprises avec l’aide des locuteurs natifs de ces langues. Le parcours de Potier et sa contribution mettent d’ailleurs bien en lumière ce rapport entre oralité et écriture, entre son travail personnel et celui qui se faisait en collaboration avec les Wendat et les autres jésuites. Soulignons également que Potier fut un rédacteur prolifique : près de 40 cahiers de sa main (non seulement des ouvrages linguistiques, mais également des extraits concernant la théologie, la philosophie, la science) sont conservés dans différentes archives ; sans compter ses notes dans des manuscrits comme le MS60 et les fragments de correspondance insérés dans d’autres documents[13].

Que représentent l’écriture, un dictionnaire, une grammaire pour Potier avant son arrivée en Amérique ? Comment a-t-il, avec ses confrères, compris et mis par écrit le wendat ? La lecture et l’écriture sont-elles suffisantes pour maîtriser cette langue à l’oral ? Soulignons que l’utilisation de l’écriture par les jésuites est seulement une facette de l’histoire : la réaction des Wendat/Wyandot par rapport à l’écriture et leur utilisation de ce nouvel outil de communication (notamment en résistance à la colonisation) sont une histoire très différente, tout comme la façon dont ils ont influencé ce que les missionnaires ont écrit, ce que je n’aborderai pas ici.

Écriture, lexicographie et Compagnie de Jésus en France

La lexicographie a pris son envol en Europe au début de l’époque moderne pour des raisons multiples, allant de la recherche de la langue adamique au renforcement des monarchies. Parmi les outils qui ont alors trouvé un nouveau souffle : les dictionnaires (« recueil par ordre de tous les mots d’une langue ») et les grammaires (livre sur « l’art qui enseigne à parler & à escrire correctement[14] »). La production des dictionnaires répond à des buts précis, comme le désir de révéler le trésor caché de la langue française (Robert Estienne au 16e siècle), la standardisation (Académie française au 17e siècle) ou encore la recherche d’une logique universelle sous-tendant tous les langages (les travaux de Port-Royal au 17e siècle). Ce qui suit l’entrée varie sensiblement selon le dictionnaire : une traduction, une définition, des exemples, des commentaires... Tout ce contenu est généralement présenté en ordre alphabétique, quoique cette règle ne soit pas absolue[15]. Quant aux grammaires, certaines sont plus pratiques et suggèrent le bon usage des mots français (comme celle de Vaugelas), alors que d’autres, telle La logique ou l’art de penser, proposent de véritables réflexions grammaticales s’inscrivant dans une démarche logique et philosophique[16]. Les Jésuites ne sont pas en reste dans cet élan de production linguistique. En effet, la Compagnie de Jésus est très impliquée dans l’éducation en Europe, par le biais d’un réseau étendu de collèges qui offrent une éducation approfondie, notamment dans les belles-lettres et les langues. Dans ses Constitutions (1556), le fondateur de l’ordre écrit d’ailleurs que la connaissance du latin et du grec est essentielle, tout comme l’apprentissage d’autres langues comme l’arabe ou l’indien, selon le contexte[17]. Les collèges jésuites enseignent ainsi différentes langues, non seulement pour communiquer (l’enseignement et les conversations se passent en latin), mais aussi pour que les pères puissent faire preuve d’autorité autant à l’oral qu’à l’écrit[18]. Afin de soutenir cet apprentissage, il faut des livres. Les collèges de la Compagnie de Jésus possèdent de vastes bibliothèques comprenant plusieurs dictionnaires et grammaires destinés à l’enseignement, dont plusieurs sont écrits par des jésuites[19]. Ainsi, comme l’explique Victor Hanzeli, à la fin de leur formation, les jésuites comme Potier sont habitués à apprendre une langue autre que leur langue maternelle, puisqu’ils ont passé trois ou quatre ans uniquement à l’étude du latin, toujours dans un contexte d’éducation formelle, avec des livres[20]. De plus, ils ont bien souvent enseigné eux-mêmes la langue de Cicéron lors de leur régence dans les collèges. Les dictionnaires et grammaires européens de l’époque moderne sont donc non seulement des outils pédagogiques, des facilitateurs de communication, mais également des instruments d’État, de courants intellectuels et religieux, des outils pour faire autorité et former la langue. Avec l’expansion des empires européens, notamment en Amérique, de nouveaux outils linguistiques sont créés pour répondre au besoin de communiquer avec les peuples rencontrés. Dans l’empire français, la diversité des langues n’est d’ailleurs pas mal perçue par le pouvoir. En Amérique du Nord, les Jésuites sont partie prenante de cette expansion impériale et de la mise en forme des langues qui y sont parlées[21].

Les jésuites, la lexicographie et l’écriture en Nouvelle-France

À l’époque de Potier, le français s’est donc étendu hors des frontières du royaume, notamment en Nouvelle-France, où il s’est enrichi de quelques emprunts[22]. Les ouvrages lexicographiques d’Europe y restent influents ; ils se retrouvent notamment dans la bibliothèque du Collège des Jésuites de Québec[23]. Potier a pour sa part eu en sa possession plusieurs dictionnaires, dont le Dictionnaire françois et latin du père Joseph Joubert (1709) et le Dictionnaire de Trévoux (1721)[24]. Le travail des lexicographes européen est également à la source de certains manuscrits de Potier. On le voit par exemple dans les Façons de parler proverbiales, triviales, figurées, qui rassemble des mots et expressions qui lui sont nouveaux et pour lesquels le jésuite utilise entre autres plusieurs entrées des deux dictionnaires français cités plus haut[25]. Un autre manuscrit de sa main, intitulé Dictionnaire, est pour sa part un ouvrage hétéroclite, à la fois thématique et alphabétique, comprenant diverses listes de mots, comme des termes appris « dans la traversée de france en canada[26] ». De plus, à l’image de ses confrères depuis le début du 17e siècle, Potier va travailler pendant des années (de 1743 à 1751) à mettre en forme le wendat dans des dictionnaires et des grammaires, d’une manière directement inspirée des livres publiés dans la métropole. En effet, comme dans leurs autres missions, les jésuites en Amérique du Nord-Est se sont, dès leur arrivée, attelés à apprendre à parler et à écrire les langues de la région grâce à l’aide toujours essentielle des locuteurs natifs[27]. Pourtant, l’écriture n’est pas essentielle à la communication : en effet, les truchements ont appris à parler avec leurs hôtes autochtones sans chercher à mettre leur langue sur papier, même si certains sachant écrire auraient pu le faire[28]. Ce mode de communication remplit toutefois plusieurs fonctions essentielles pour les missionnaires. La mise en commun des fruits de leur apprentissage linguistique personnel facilite les progrès des premiers jésuites. Plus tard, les nouveaux venus, comme Potier, pourront s’initier à une langue en copiant des outils s’inspirant de ceux utilisés dans les collèges d’Europe et ainsi assurer la pérennité du travail d’évangélisation. La rédaction est aussi essentielle pour fixer les termes. À la fois dans l’esprit de la Réforme catholique et parce que certains jésuites ont eu des problèmes avec la traduction du sacré dans d’autres missions, les premiers missionnaires dans une communauté autochtone doivent trouver des traductions orthodoxes des termes catholiques. Par exemple, les jésuites à Wendake ont dû apprendre à parler de Dieu, traduit Di8 ou ha8endio[29]. Une fois ces termes acceptés non seulement par les Wendat mais aussi par les autorités ecclésiastiques, il ne fallait pas les changer sous peine, d’une part, de paraître incohérents et, d’autre part, de subir les réprimandes de Rome si les nouvelles traductions se révélaient non conformes. Les dictionnaires et grammaires en langues autochtones sont donc comme en Europe non seulement des outils pédagogiques, des facilitateurs de communication, mais également des instruments religieux. Les dictionnaires et les grammaires font aussi entrer les langues comme le wendat dans une structure européenne, subordonnées (avec quelques adaptations) au format des langues latines par et pour les missionnaires, dont le travail consiste à « réduire » — soit contraindre — la langue en préceptes[30]. Au coeur de ces outils linguistiques se trouve l’écriture. Au début du travail d’évangélisation chez les Wendat, l’écrit — tant le support d’informations que le travail d’écriture en lui-même — est déjà un thème important, intimement lié au religieux, comme l’indique le père Lalemant dans la Relation au pays des Hurons de 1639 :

Tout nostre force est au bout de la langue, en la monstre et production de nos livres et escriture, dont ils ne cessent tous les jours d’admirer les effets[31]

L’effet de l’écriture sur les Wendat, tel que décrit par Lalemant, est à relativiser. Comme l’explique Drew Lopenzina, qui offre dans son livre Red Ink une nouvelle interprétation de l’histoire coloniale américaine basée sur les contextes et les perspectives autochtones, les jésuites décodent souvent mal les réactions de leurs interlocuteurs autochtones (par exemple l’ironie) à l’écriture et au récit des Écritures[32]. Il reste toutefois que l’écrit impose une tout autre épistémologie aux Wendat :

Si les explorateurs chrétiens adhéraient entièrement à l’idéologie totalisante d’un Dieu unique, d’une seule création et d’une seule religion, les épistémologies autochtones ne semblent pas avoir exigé une telle uniformité de croyance ; elles ne réclamaient pas l’illusion d’inclusion absolue que le discours imprimé impose à la perception[33].

Au milieu du 18e siècle, Potier retrouve dans les écrits de ses prédécesseurs des échos du discours de Lalemant ; qu’il a pu lire (comme « L’ecriture ne ment point a˛ hiatoncha stan te˛ andachi8annen[34] ») et retranscrire (« la voix de jesus est couché par ecrit a˛ hiatoncha˛ e ho8endannenta˛ d’ies8s » et que « on˛ 8arih8enh8a8[ ?] d’a˛ 8atsihenstatsi d’ies8s horih8a8an nous portons nous autres robbes noires les affaires de jesus, nous sommes ses lieutenans[35] ») pour ultimement pouvoir le dire à haute voix, traduisant ainsi dans la langue des Wendat le pouvoir de cette écriture au coeur de l’identité chrétienne. Potier se pose ainsi, comme le font les prêtres en Europe, en intermédiaire incontournable entre les Écritures, l’écriture et leur transmission orale, puisque, comme l’écrit Morsel, « toute lecture du texte sacré vient renforcer la domination symbolique de la divinité — et dès lors que le texte sacré n’est pas en accès libre, [celle] du clergé[36] ». Par l’écriture, en recourant notamment aux dictionnaires et aux grammaires, les jésuites forcent l’intégration du wendat dans le monde européen catholique. Ce n’est toutefois pas dire que les Wendat ne trouvent pas d’avantages à l’écriture. Au contraire, depuis le 17e siècle, des hommes et des femmes ont appris à lire et à écrire dans leur communauté ou à Québec ; ils ont ensuite utilisé ce mode de communication au sein de leur nation ou dans leurs rapports avec les Français[37]. De plus, bien qu’il y ait peu de sources à ce sujet, il est probable que les jésuites aient enseigné les lettres aux Wendat de Lorette au moins dans la deuxième moitié du 18e siècle[38]. Toutefois, le travail de mise à l’écrit du wendat, au moment où Potier arrive en Amérique, est encore principalement le fait des missionnaires[39].

Pierre Potier et les dictionnaires français-wendat

Apprendre à lire et à écrire le wendat dépasse donc la simple communication : cela s’inscrit dans l’importation en Amérique du Nord d’une technique de communication et d’une épistémologie européennes. Face à une langue nouvelle pour eux, les jésuites ont dû la fixer sur papier dans un format compréhensible par les autres missionnaires. Dans le cas de Potier, sa formation européenne et son éducation lui permettent de comprendre rapidement les documents linguistiques en wendat écrits par ses confrères.

À peine dix-sept jours après son arrivée dans la colonie française, en octobre 1743, Potier est envoyé dans la mission de Notre-Dame de la Jeune-Lorette, à quelques kilomètres de Québec. Ce village entouré de fermes françaises est principalement habité par des Wendat chrétiens et quelques jésuites sous la supervision du père Pierre-Daniel Richer. Dans cette communauté à l’architecture alors plutôt française, les Wendat vivent entre autres d’agriculture et d’artisanat. Quelques habitants d’origine européenne, comme des enfants adoptés et des épouses françaises, habitent également la mission[40]. Potier a sûrement passé la plupart de son temps à apprendre la langue en fréquentant les locuteurs natifs (bien que les Wendat aient appris le français comme langue seconde), mais aussi les anciens missionnaires et leurs écrits[41]. En effet, comme lors de son apprentissage dans les collèges d’Europe, Potier a accès à des livres pour étudier. Rien d’imprimé toutefois : tous les dictionnaires et grammaires en wendat sont alors manuscrits[42]. Dans la bibliothèque de la Jeune-Lorette, on trouve par exemple un volumineux manuscrit (21,5 × 16,8 × 6,7 cm, 384 folios) sans titre, écrit probablement à Notre-Dame-de-Lorette dans les années 1690[43]. Bien conservé, il n’a vraisemblablement pas voyagé en canot vers d’autres missions, étant exempt des dommages causés par l’eau que l’on retrouve sur d’autres documents. S’il avait reçu un titre, cela aurait été (comme pour le MS62[44]) « dictionnaire huron » — l’accent mis uniquement sur le « huron » contrairement aux dictionnaires bilingues européens qui mentionnent les deux langues (tel le Dictionnaire francoislatin). Le MS60 n’est pas signé lui non plus, quoique Potier ait pu constater que plus d’un missionnaire avait pris part à sa rédaction, ajoutant des entrées au verso souvent vierge ou dans les généreux interlignes[45]. Cet ouvrage est visiblement conçu pour être un ouvrage collectif toujours sujet à amélioration, ce qu’aurait moins permis l’imprimé. C’est un outil de préservation et de transmission du savoir. On sait que Potier l’a consulté, comme il y a ajouté certaines notes de son écriture caractéristique[46].

Figure 1

« vid. rad. », une indication de Potier dans un ouvrage collectif

Source : MCQ, SME, La collection de manuscrits, MS60 [1690], fol. 119r

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Ce manuscrit devait être assez facile à consulter pour un érudit habitué aux dictionnaires européens. Les pages sont numérotées et Potier peut aussi se référer au titre courant pour trouver aisément les entrées présentées en ordre alphabétique. Quelques surprises tout de même : les entrées sont parfois thématiques (p. ex. « messe », « monnoie »), et l’entrée principale est souvent suivie de phrases ou d’entrées connexes dont il aurait été difficile de prévoir l’emplacement. Sous « enterrer » se retrouvent des exemples d’utilisation concernant cette entrée, mais aussi d’autres qui renvoient à « déterrer » et à « cimetière[47] ». Voilà sûrement la raison des quelques renvois que Potier a inscrits dans le manuscrit, renvois qui ne fonctionnent d’ailleurs pas toujours dans le cadre du dictionnaire en question et font peut-être référence à un autre dictionnaire[48]. Autre problème du MS60 : plusieurs entrées renvoient le lecteur in fine, mais à la fin ne se trouve qu’une section sur la parenté ; le manuscrit semble donc avoir été laissé incomplet, à moins que certaines parties n’en aient été retirées[49]. Potier a aussi pu constater que l’alphabet latin est prédominant dans le dictionnaire. Dans les premières transcriptions en wendat au début du 17e siècle, seul l’alphabet latin est utilisé[50]. Toutefois, les jésuites ont rapidement reconnu que les seules lettres latines étaient insuffisantes pour transcrire les sons du wendat et qu’ils avaient besoin de nouveaux symboles. Potier a ainsi pu voir dans les manuscrits des caractères grecs comme θ (thêta) et la ligature des lettres grecques omicron et upsilon (qui ressemble à un 8)[51]. Enfin, lors de son apprentissage à la Jeune-Lorette, le nouveau missionnaire a aussi eu accès à d’autres documents, puisque pour comprendre la structure du wendat et certains thèmes comme « les nombres », le MS60 fait des renvois à une grammaire (« vide grammaticam ») et à une radices wendat-français (« vide radices ») qui ne sont pas identifiés[52]. Ces outils lexicographiques sont ainsi reliés entre eux et utilisés de concert. L’effort missionnaire pour maîtriser le wendat a donc nécessité l’introduction d’un outil (l’écriture alphabétique) et d’un cadre discursif (comme les dictionnaires et les grammaires) avec lesquels les jésuites sont déjà familiers[53]. Mais comme on va le voir, ce n’est qu’un seul aspect de leur apprentissage, lequel doit se faire principalement à l’oral.

Radices wendat-français

En plus de la lecture, une des premières tâches que Pierre Potier reçoit à la Jeune-Lorette correspond parfaitement à ses intérêts : recopier un manuscrit. On lui confie les Radices linguae huronicae du défunt père Étienne de Carheil (1633-1726), afin qu’il puisse s’en faire une copie pour son usage[54]. Selon Paul Cohen, la catégorie lingua à l’époque moderne désigne « ordinairement non pas les langues en général, mais seulement les langues écrites, réglées, et dotées d’une grammatica », soit le latin et le grec[55]. Dans les missions chez les Wendat, les rédacteurs de manuscrits jésuites spécifient toujours que la lingua est le wendat, soulignant par le fait même que cette langue a selon eux le potentiel d’être « réglée » à la manière des langues classiques et des langues vulgaires que l’on standardise[56]. Les manuscrits de Carheil ne reflètent toutefois pas parfaitement le wendat parlé des années 1740, ce qui est normal pour toute langue, surtout dans le contexte de changements rapides dus à la colonisation[57]. Potier corrigera ainsi au fil du temps plusieurs entrées en indiquant que certaines ne sont plus utilisées (non dict ou non aud). Même s’il se base sur près d’un siècle de travaux et qu’il y apporte des corrections, ses documents ne donnent pas toutes les particularités du wendat oral. Michel Gros-Louis et Benoît Jacques soulignent que,

À l’époque de Potier, on en savait peu sur le sujet [des changements phonétiques[58]], avec la conséquence que ce qui est identifié comme une racine unique dans Radices Huronicae peut en réalité se décomposer en un préfixe, un ou deux radicaux et un ou deux suffixes. Dans la liste de Potier, un radical peut être répété plusieurs fois selon les suffixes qui le modifient. Par conséquent, la liste est surchargée de particularismes qui n’auraient pas eu leur raison d’être si les règles morphologiques et phonologiques de la langue avaient été mieux connues[59].

Pour décrire le wendat, Potier et ses prédécesseurs ont donc appliqué les concepts et méthodes propres aux langues européennes, même imparfaitement, afin d’y plaquer un cadre qui leur est familier.

Or, contrairement à ce qu’il ferait avec un dictionnaire européen, le père Potier doit plonger tête première dans la structure du wendat pour comprendre les radices qu’il retranscrit. La langue d’entrée est en effet fort différente des langues romanes, puisque le wendat est une langue de type polysynthétique. Les verbes (la base de la langue) et les noms sont composés de plusieurs morphèmes fusionnés, ce qui rend extrêmement difficile l’identification de chaque élément individuel[60]. De quoi dérouter Potier. Les jésuites ont néanmoins trouvé une manière de rendre intelligibles à leurs confrères les documents linguistiques en wendat-français. Ils ont opté pour un classement où les entrées sont divisées selon leur conjugaison et leur racine verbale, puis classées alphabétiquement, s’adaptant donc en partie à la structure du wendat. Les manuscrits de Potier ont une particularité par rapport aux autres radices linguae huronicae qui ont été conservées, soit une division additionnelle en « centuria » : les entrées sont regroupées par centaines et numérotées[61]. Dans ces radices, l’entrée en wendat — la racine d’un verbe et non un mot complet — est suivie de la traduction en français, puis d’expansions basées sur la racine afin de donner plusieurs exemples d’utilisation. Potier doit donc comprendre la structure de base du wendat afin d’utiliser ces documents, opération sans doute encore difficile à cette étape de son apprentissage. Le jésuite recopie ainsi plus de 550 pages en un hiver, terminant le premier volume en 1743 et le deuxième en 1744[62], en plus de transcrire à part des extraits d’autres manuscrits (comme le MS60). Il se familiarise par le fait même avec la langue de la mission.

Figure 2

Page tirée des premières Radices linguae huronicae copiées par Potier

Source : Archives des jésuites au Canada, 0100, 0873.2.1, 1743, p. 5

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Par le biais des documents mis à sa disposition, le père Potier apprend à communiquer dans un contexte d’échange, par exemple le terme atiak8enhata8an : « retirer reprendre ce qu’on a mis en cache en reserve vg [par exemple] tirer de son coffre de la porcelaine qu’on y gardoit pour faire des presents[63] ». Mais c’est en théorie. Parce que les dictionnaires et radices en wendat ne donnent pas, ou presque pas, d’indications sur l’usage des symboles non latins ou sur la prononciation des mots. Comme le propose Richard Rath, l’écrit capte les sons de la parole avant de les rendre comme des marques visibles, mais silencieuses[64]. Il faut alors se tourner vers les grammaires, dont au moins une (selon les notes dans le MS60 faisant référence à une grammaire) se trouve à la Jeune-Lorette. D’après les grammaires qui nous sont parvenues, ces manuscrits décortiquent non seulement la structure du wendat selon le modèle des grammaires latines, mais aussi la prononciation de cette langue (ex. : « k et x sonant ut kh »)[65]. Toutefois, entre lecture et pratique, il y a un grand pas à franchir. Ainsi, le papier et l’encre qui seraient à peu près suffisants pour apprendre de façon autonome le latin en Europe ne le sont absolument pas pour s’initier au wendat en Amérique du Nord. Au contraire, l’écrit employé isolément peut créer un large fossé entre ce que les jésuites comprennent et les sons réels de la parole en wendat[66]. Le père Potier devra sortir de son étude pour se mettre à la pratique. Comment ? Potier a trouvé dans le MS60 un guide intitulé « Demandes pour se faire instruire ». Il a copié ces demandes (ex. : « est il bien ce que je dis, comme je parle, andeia de˛ atatiak i ? »), qu’il retranscrira d’ailleurs dans un document plus tardif[67]. Potier conserve donc sûrement en sa possession un papier contenant les questions nécessaires pour demander l’aide des Wendat et de quoi noter les réponses[68]. Ainsi, encore au milieu du 18e siècle, dans la pratique, le jésuite devait encore se faire élève des Wendat avant de devenir leur maître spirituel. C’est pourquoi le père Richer, son supérieur, demande à Potier de moins écrire et de parler davantage avec les Wendat lors de son séjour à la Jeune-Lorette[69]. Lors de ces interactions quotidiennes, le jésuite met en pratique ses connaissances, en plus certainement d’apprendre de nouveaux termes et manières de communiquer.

De la théorie à la pratique : la mission de Détroit

Après un premier hiver de formation à Lorette, ses supérieurs considèrent que Potier est prêt à aller prêter main-forte à une autre mission. On l’envoie donc auprès du père de la Richardie, missionnaire chez les Wyandot de l’île aux Bois-Blancs, près de Détroit. Pour ce long voyage, Potier emporte entre autres avec lui les petites radices (environ 18 × 11,5 cm) qu’il a copiées et qui sont justement faites pour être facilement transportables (le premier volume est d’ailleurs taché par l’eau). Une fois arrivé à destination à l’automne 1744, comme Potier n’est pas encore — et c’est normal — capable de bien comprendre le wyandot, le père de la Richardie lui donne des discours tout faits à lire, par exemple, dans les cabanes[70]. Ce faisant, il paraît plus versé dans la langue qu’en réalité, ce qui a pu le faire paraître moins étranger aux Wyandot. Cela a dû faciliter son intégration si, comme l’a noté le père Lalemant un siècle plus tôt, « nos sauvages se [plaisent] beaucoup plus avec ceux qui parlent leur propre langue qu’avec ceux qui n’en font qu’approcher, qu’ils tiennent jusques là pour estrangers[71] ». En plus de travailler le wyandot à l’oral, Potier termine à la mission, entre autres documents, la copie de deux grammaires et d’un livre de sermons[72]. Dans ses grammaires, il inclut une section radices, des sections de vocabulaire thématiques (ex. : maladies, toponymie) et deux recensements des « cabanes huronnes ». Il s’agit de documents pratiques, hétéroclites, qui tout en s’inspirant des outils européens ont été adaptés à la vie apostolique. Enfin, en se basant sur ses premières radices, Potier en rédige une troisième en condensé, terminée en 1751[73]. Tous ces outils visent différents objectifs. La grammaire permet d’apprendre la structure du wyandot, les radices de comprendre les locuteurs natifs, les vocabulaires de repérer facilement une entrée dans un vaste corpus de mots français-wyandot, et les sections thématiques de trouver rapidement des termes connexes ; enfin, les textes complets permettent d’évangéliser. Utilisés en parallèle, ces écrits facilitent l’écoute et la parole par le missionnaire, et donc ses relations avec les Wyandot. Malgré tous les outils à sa disposition, le père Potier maîtrise difficilement le wyandot, puisqu’il écrit en 1745 que ses « progrès de la langue huronne sont bien lents après 2 ans et demi je ne fais encore que begaier[74] ». Pour s’améliorer, il hiverne avec des Autochtones en 1745-1746 loin de la mission pour la saison de la chasse. Son manuscrit Façons de parler et termes français rapporte d’ailleurs quelques nouveaux termes wyandot entendus lors de cet « hyvernement », comme « apichimon M {morceau d’ecorce qu’on met dans Les pinces du Canot pour servir de marchepied aux Canoteurs[75] ». La plupart des entrées de cet hiver sont toutefois en français ; il est donc difficile d’estimer ses progrès en wyandot. Potier confesse dans une lettre (sûrement destinée à son supérieur à Québec) n’avoir réussi pendant ce voyage à communiquer avec les Wyandot, notamment pour les confessions et baptêmes, que « papier en main, bien entendu » — alors que l’objectif à long terme est de s’en passer[76]. Il faut dire que l’apprentissage du wendat/wyandot, même au 18e siècle, est reconnu comme un processus laborieux. En 1723, le père Rasles (qui parle wendat) déclare que même avec des outils linguistiques écrits, un missionnaire a peu de chance d’être éloquent avant dix ans de pratique[77]. Mais il semble aussi que, comme à la Jeune-Lorette, Potier ne fréquente pas assez les locuteurs natifs. C’est ce qui ressort d’une lettre du père Gabriel Marcol, supérieur de toute la mission de la Nouvelle-France, qui lui écrit en 1749 :

Rien ne pouvait me faire plus de plaisir que la résolution dans laquelle vous m’avez témoigné être de faire un dernier effort pour vous perfectionner dans la langue huronne. Faites donc [mon] R.P. Voyez beaucoup les sauvages[78].

Potier lui répond peu après que ses progrès ne sont pas considérables, mais qu’il saurait se débrouiller si le père de la Richardie devait quitter la mission[79]. Au fil du temps, Potier saura finalement bien maîtriser le wyandot puisqu’il poursuivra son apostolat dans la région de Détroit jusqu’à sa mort en 1781. Travaillant autant avec les Wyandot que les Français de la région (et après la Conquête, avec les Britanniques), il deviendra lui-même un pont entre les cultures et les langues[80].

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Le langage, écrit et oral, est à la fois un outil de communication et un instrument permettant de tracer des lignes d’inclusion et d’exclusion[81]. En Amérique du Nord-Est, les jésuites comme Potier ont dû, grâce à des locuteurs natifs, apprendre les langues des communautés qu’ils voulaient convertir afin d’y être acceptés. Mais les missionnaires ont aussi importé d’Europe des types de discours et un système d’écriture qu’ils ont utilisés pour décider de l’orthographe des mots (notamment en wendat/wyandot) choisis pour être couchés sur papier dans des documents linguistiques. Quand Potier consulte le MS60 ou rédige ses Radices et grammaires, il utilise le savoir acquis dans les collèges de France en vue d’atteindre l’objectif avoué du cursus d’études jésuite : faire preuve d’autorité à l’écrit et à l’oral. Les missionnaires ont ainsi essayé de recréer en Amérique le système d’apprentissage et les outils linguistiques qui leur étaient familiers, et ils y sont arrivés en partie. Les ouvrages en wendat/wyandot leur ont permis de travailler en territoire autochtone tout en restant enracinés dans leurs modes de pensée européens et leurs traditions écrites. Mais le modèle de dictionnaire que les jésuites ont apporté avec eux, même accompagné de grammaires, ne pouvait suffire à « réduire » entièrement les langues autochtones. Les manuscrits qui nous sont parvenus sont des objets matériels et textuels résultant de cette riche rencontre linguistique et culturelle, qui se fait d’abord en parlant.

Les missionnaires, par leurs outils linguistiques manuscrits, ont joué un rôle important à la frontière entre le monde français catholique et le monde autochtone. Ils ont créé des ponts en facilitant la communication orale, mais ils ont aussi érigé un mur entre les Wendat/Wyandot et les écritures chrétiennes, en se présentant comme des intermédiaires indispensables pour accéder au sacré. Par ailleurs, si la langue écrite met les jésuites en position d’autorité selon la conception européenne, dans la pratique orale, ce sont les missionnaires qui ont longtemps été élèves, puisque les documents linguistiques n’ont jamais réussi à capturer parfaitement la structure ni le son du wendat. Retracer la rédaction et l’utilisation des documents linguistiques depuis l’Europe jusque dans les missions d’Amérique, comme avec l’exemple de Potier, permet ainsi d’approfondir les relations souhaitées et vécues, la manière et le rythme d’apprentissage linguistique, et ainsi d’avoir une meilleure vue d’ensemble pour comprendre, par exemple, le vocabulaire contenu dans ces ouvrages et la manière dont il a été utilisé. Enfin, pour reprendre le concept de mediascape cité en introduction, les outils linguistiques jésuites, comme d’autres sources, témoignent aussi d’une familiarisation de l’écriture et des livres par les Wendat/Wyandot[82]. Ces documents portant les mots autochtones se sont intégrés au mediascape autochtone et, du 19e siècle jusqu’à aujourd’hui, ont été utilisés par les Wendat pour préserver puis revitaliser leur langue traditionnelle[83].